C’était un temps de merveilles et de légendes, un temps où l’honneur et la vaillance étaient les plus belles qualités qu’un homme put posséder et où les miracles étaient chose courante. E ce temps et ce lieu, dans ce monde appelé Ashan, des forces diverses sont en place. Forces de la lumières, des Ténèbres, du Chaos, de l’Ordre et de la Spiritualité. Mais ces forces, parfois contraires, formaient l’équilibre d’Ashan.

Il serait sot d’affirmer que les démons de Sheogh faisaient le bien. Leur adoration du chaos les poussait, dans leur nature, à semer quelques troubles chez leurs voisins, de même que les nomades des Îles Pao, issus du sang de l’homme et du démon, ont souvent vu leurs instincts sauvages les mener à quelques mésententes avec les hommes. Mais il n’est pas non plus à exclure que le Saint-Empire, dans sa folie et son adoration pour la Lumière d’Elrath, ait à son heure causé son lot de frictions.

On dit qu’un jour, peiné de voir ses terres déchirées par les guerres de ces enfants, le dieu Asha laissa tomber sur Ashan une larme. Celle-ci se brisa en six fragments qui se trouvèrent dispersés de par le monde. Les cinq premiers fragments formeraient le disque Lunaire, indiquant à celui qui les rassemblerait l’emplacement de son dernier fragment, central; la Larme d’Asha. Celle-ci, retrouvée et placée au centre du disque, offrirait à son possesseur toute la gloire et la puissance dont il est possible de rêver.

Lorsque cette légende fut mise au jour, tout le monde voulu se lancer dans la quête. Les chefs des cinq empires décidèrent d’abord de s’unir, car il apparaissait qu’une prophétie annonçait à chaque peuple un indice quant à l’emplacement d’un fragment du disque lunaire. Une trêve fut conclue, les petits et grands conflits furent mis de côté. Mais ce que chacun espérait, c’était d’obtenir de l’autre son indice, tout en gardant jalousement le sien. On essaie de conclure des alliances, on ment, on se joue des autres, mais aucune guerre ouverte n’est déclarée durant plus d’un siècle. Si cette apparente paix réjouissait Asha, il fallait bien se douter que cet état des choses ne durerait pas.


L’empereur du Saint-Empire recevait à sa cour ses relations, pour souligner la naissance de son premier fils. Un banquet incroyable fut organisé, mettant à profit les plus grands maîtres cuisiniers. Durant les trois jours que l’évènement devait couvrir, les invités ne devaient manquer de rien. On avait apprêté des mets de choix, on avait organisé des tournois pour mesurer l’adresse des chevaliers, et chaque dame portait sur elle ses plus belles couleurs.

On se trouvait au deuxième jour de ces festivités quand l’empereur lui-même suggéra, pour distraire ses gens, d’aller chasser le cerf blanc. Les invités en furent enchantés, car le cerf blanc était un animal vif et difficile à chasser. Mais au cœur des exclamations, la sœur de l’empereur, sa conseillère, se pencha à son oreille et lui dit ces mots : « Je doute que ce soit très sage, mon frère. Le cerf blanc est sacré pour le peuple du Sanctuaire. Je crois que nos relations pourraient en souffrir. » L’empereur balaya la mise en garde d’une parole qui provoqua les rires des gens qui se trouvaient le plus près : « Ces maudits nagas … pas moyen de lancer un bâton en l’air sans qu’il ne retombe sur un buisson sacré ! » Son épouse lui toucha le bras; elle était fort sage. « Très cher, même en mettant de côté l’opinion des nagas, vous connaissez comme moi la légende de la chasse du cerf blanc. Celui qui abat le cerf doit offrir un baiser à la plus belle femme présente au banquet suivant la chasse. Tous les hommes présents voudront que leur femme soit la plus belle aux yeux de tous. Cela pourrait donner lieu à des frictions. » L’empereur émit un rire : « Ma chère, mes invités sont distingués, ils ne sauraient miner ce banquet, n’est-ce pas ? » Ses propos furent acclamés, les chiens furent sortis et les cheveux sellés.

La forêt où ils se rendirent se trouvait non loin du palais, près des limites du royaume. Les hommes et les chiens pénétrèrent le bois en sonnant du cor pour faire lever le gibier. Les femmes demeurèrent à l’orée, montées sur leurs chevaux et accompagnées de leurs suivantes. Les discussions allaient bon train à savoir qui parmi les hommes parviendrait à abattre le cerf blanc. Chacune croyait à la valeur de son compagnon, et chacune tâtait sa coiffure, espérant être la plus belle au banquet du soir.

Une heure passa avant que les hommes ne ressortent du bois. Les dames tendirent le cou, pressées de voir quel cheval tirerait derrière lui le cadavre du cerf blanc. La gracieuse bête était étendue en travers d’une litière, percée en plein cœur par une flèche décorée des couleurs de l’empereur. Ce dernier, fier comme un paon, semblait avoir fait bonne chasse. Son épouse alla le rejoindre, toute aussi fière que lui. Ils rentrèrent au palais avec leur suite.

On mena le cerf aux cuisines, et les festivités reprirent de plus belle. Un fumet délicieux emplit la salle et lorsque les serviteurs amenèrent la bête rôtie et prête à consommer, le roi leva les paumes pour amener le silence. « Avant que l’on entame ce repas, il me faut faire honneur à la tradition. Qui est la femme ici présente à qui je devrais offrir le baiser courtois du cerf blanc ? » Quelques hommes proposèrent leur dame pour l’honneur. L’Impératrice, grande observatrice, croisa le regard d’une jeune servant qui faisait son apprentissage chez les prêtresse de la Lumière. La jeune femme portait une robe très modeste, et n’était ni coiffée, ni maquillée, ni parée. Mais sa beauté resplendissait alors qu’elle se tenait pourtant en retrait. L’Impératrice la désigna à son époux. Celui-ci, encore une fois, ramena le silence. « Au fond de cette salle se trouve, je le crois, la plus belle jeune femme de cette cour. » Il fit approcher la jeune fille, lui demanda son nom et la présenta. « Quelqu’un ici a-t-il une plus belle dame que cette charmante Victoria de Senlac à me désigner ? » Tous les hommes qui, un peu plus tôt, tentaient de faire valoir leur compagne, secouèrent la tête. Et aucune femme ne s’en offusqua, car il semblait évident que ce visage avait été sculpté par quelque divinité. L’empereur s’approcha donc de la jeune vestale et lui offrit le baiser du cerf blanc. Tout le monde l’acclama, et on allait entamer le repas.

Mais parmi les invités se trouvaient un Seigneur démon et sa fille, une succube dont la beauté provocante n’avait d’égal que sa vanité. Sûre qu’elle était d’obtenir unanimement la faveur du baiser, son orgueil fut piqué. À mi-voix, elle sollicita son père pour qu’il défende son honneur. Celui-ci tenta d’abord de calmer l’humeur de sa fille, car il voyait bien que, malgré sa grande beauté, elle était loin d’égaler celle de la jeune vierge. Mais la succube commençait de hausser le ton, et l’attention de se tourner dans leur direction. Le Seigneur se leva et s’adressa à l’empereur d’une voix forte. « Sire, vous avez porté une grave offense contre ma maison en refusant d’honorer ma fille de votre baiser. Vous aviez en moi un ami, mais ça ne peut plus être le cas. Sachez que mon rang est très élevé chez les miens : attendez-vous à voir vos rapports avec Sheogh changer. » Avant que quiconque puisse réagir, le seigneur démon fit apparaître un portail de flammes dans lequel il disparut avec sa fille. Le feu et le grondement de la terre firent s’écrouler toute la partie nord du pavillon où le roi recevait sa cour. Quelques invités perdirent la vie.

Trois mois après cet incident, alors que les réparations du grand pavillon s’achevaient, une délégation du Sanctuaire se présenta à la cour du Saint-Empire avec un lourd chargement. Le message ne s’inclina pas devant l’empereur. « Perceval Philip de Cove, il est venu à nos oreilles que vous avez violé les termes d’un accord conclu il y a 30 ans avec feu votre père : vous avez chassé le cerf blanc. Nous sommes ici aujourd’hui pour vous transmettre la réponse à votre offense. » Le messager fit un signe, et ses quatre compagnons tirèrent la toile qui couvrait leur cargaison. Un hoquet de stupeur anima la foule quand furent dévoilés les corps empilés d’une dizaine de griffons, l’emblème animal du Saint-Empire. L’empereur, rouge de colère, ordonna qu’on fasse enfermer les messagers dans la prison de la Lumière, où étaient enfermés les plus grands ennemis de l’Empire depuis des siècles.


Cette prison, construite par les anges eux-mêmes, accueillait surtout des démons puissants qui, par le passé, avaient cherché à nuire à l’Empire. Cette prison était construite hors du temps, de sorte que personne n’y vieillissait ni ne pouvait y mourir. Mais on s’y trouvait exposé à la faim, à l’ennui et à la folie. Il était impossible de s’en échapper, sauf avec une aide de l’extérieur.

Les anges avaient créé, loin de l’Empire, une tombe fermée par une lourde stèle qui ne pouvait être déplacée que par quelqu’un n’était pas habité de mauvaises intentions. Quiconque parviendrait à la déplacer ferait tomber les murs de la prison de la Lumière. Évidemment, personne n’avait envie de voir libérés une légion de démons furieux et affamés et des criminels rendus fous par l’isolement. Personne sauf les démons. Heureusement, aucun d’eux ne pouvait soulever la stèle : il fallait ruser pour libérer les leurs.

Un jeune démon dont le père et la mère avaient été enfermés pour avoir tenté de tuer l’empereur était bien déterminé à les libérer. Il savait que ni les nagas, ni les nécromanciens et encore moins les hommes ne l’aideraient. Il alla du côté des Îles Pao, refuge des nomades, isolés à cause du sang qui coulait dans leur veine et pour leur nature instable. Il cibla un jeune orc, de l’âge où ils sont particulièrement fiers et impétueux, et surtout ignorants. Il s’assura qu’il n’était pas au fait de la légende de la stèle et l’entraîna à voyager avec lui. Tout au long du voyage, le démon poussa le jeune orc à lui montrer sa force, à se mesurer : « Je te parie tout ce que tu veux que je fais ceci ou cela mieux que toi. » Ils arrivèrent alors là où se trouvait la stèle et le démon tint ce discours à son compagnon : « Vois-tu, je serais réellement impressionné par ta force si tu peux soulever cette stèle. Beaucoup d’hommes très forts l’ont tenté et ont échoué. Sincèrement, je doute que tu y arrives. » Piqué, l’orc écarte son compagnon et saisit la stèle à bras le corps. Il la soulève sans difficulté, car il n’était pas animé par le désir de libérer les prisonniers.

Le démon s’enfuit sans laisser de trace, abandonnant celui qu’il avait dupé. En Sheoh, il fut reçu en héros et prit la place d’un des six démons majeurs. Le saint-empire est alors ravagé de l’intérieur par les prisonniers qui s’évadent. Des soldats sont envoyés en quête du coupable, qui est pris rapidement. Voyez-vous, toujours inconscient de ce qu’il avait déclenché, il se vantait partout qu’il avait soulevé une pierre impossible à bouger. Il fut ramené à l’Empire, jugé et confié à l’inquisition.

Par ces évènements, l’Inquisition de l’Empire gagna en zèle, les démons reprirent de la force, et les nomades furent plus que jamais perçus comme des brutes épaisses.